Le Sahara Occidental cristallise les tensions entre le Maroc et l’Espagne
Le 19 mai, l’Espagne a refoulé de près de 6000 migrants de Ceuta, son enclave sur le continent africain. Plus tôt dans la semaine, plus de 8 000 personnes avaient franchi la frontière entre le Maroc et l’Espagne, en l’espace de quelques jours. Cette arrivée massive de migrants ressemble à des représailles du Maroc suite à la montée de tensions diplomatiques avec l’Espagne au sujet du Sahara Occidental.
Une grave crise migratoire
Cette arrivée massive de migrants a provoqué un choc au sein de la classe politique espagnole. Le Premier Ministre, Pedro Sanchez, l’a qualifiée de « grave crise pour l’Espagne et pour l’Europe ». En effet, le nombre de migrants arrivant à Ceuta entre lundi 17 mai et mardi 18 mai dépasse le nombre cumulé de migrants ayant débarqué sur les deux enclaves espagnoles au Maroc, Ceuta et Melilla, au cours des trois dernières années. Ce nombre si important peut s’expliquer par la crise économique et social sévissant au Maghreb, et faisant notamment suite à la crise sanitaire.
Le Sahara Occidental : un dossier complexe entre le Maroc et l’Espagne
Une arrivée si massive dans un si court laps de temps s’explique également par la passivité des gardes-frontières marocains. En effet, cet afflux migratoire ressemble à des représailles du Maroc, s’inscrivant dans le contexte de tensions entre Rabat et Madrid au sujet du Sahara Occidental, espace hautement stratégique. Revenons quelques années en arrières.
En 1884, le Sahara Occidental est un protectorat espagnol. Mais dès son indépendance en 1956, le Maroc revendique sa souveraineté sur ce territoire en évoquant des liens antérieurs à la colonisation. Cette zone est également revendiquée par la Mauritanie et l’Algérie. Face à ces ambitions, le Front Polisario est créé en 1973 et réclame l’indépendance du territoire. En 1975, l’Espagne se retire et le Maroc en profite en occupant pacifiquement la zone dans ce qu’on appellera la « marche verte ». Le Front Polisario riposte alors en proclamant la République Arabe Sahraouie Démocratique au tout début de l’année 1976, qui est admise à l’Organisation de l’Unité Africaine, dont le Maroc se retire. Depuis, le Front Polisario mène une guérilla contre le Maroc dans ce qu’on pourrait caractériser de conflit intraétatique de basse intensité. Le Maroc est soutenu par la majorité des pays arabo-musulman, en plus des Etats-Unis qui a reconnu l’appartenance du Sahara Occidental au Maroc en échange de la reconnaissance par Rabat de l’Etat d’Israël, alors que le Front Polisario est soutenu par l’Algérie, Cuba, et par certaines organisations caritatives espagnoles.
L’accueil d’un dirigeant du Front Polisario en Espagne : l’élément de trop pour Rabat
C’est dans ce contexte que, fin avril, l’Espagne a accueilli pour son hospitalisation Brahim Galli, dirigeant du Front Polisario. Sa présence a fuité à Rabat, et n’a guère été apprécier. Le ministre marocain des affaires étrangères a qualifié le 8 mai cette décision d’« acte grave et contraire à l’esprit de partenariat et de bon voisinage ». L’accueil du dirigeant du Front Polisario n’est cependant pas le déclencheur de la crise entre le Maroc et l’Espagne, mais plutôt le point final d’une escalade de tensions diplomatiques. En effet, lorsque les Etats-Unis reconnurent la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental, Rabat appela Madrid à faire de même, en vain. En effet, une partie de l’opinion publique espagnole est sensible à la question de l’indépendance du Sahara Occidental, ce qui empêche toute décision allant dans le sens contraire.
En somme, la question du Sahara Occidental qui cristallise les tensions entre Madrid et Rabat s’inscrit dans un contexte global où l’on voit une importance croissance des mouvements indépendantistes opérant dans le cadre de conflits intraétatiques. C’est le cas par exemple du Kosovo vis-à-vis de la Serbie, où l’Espagne soutient Belgrade, par peur de légitimer le mouvement indépendantiste catalan. Cependant, la position espagnole sur le dossier Saharaoui est délicate, Madrid cherchant un certain équilibre. Reconnaitre la République Sahraouie Occidentale Démocratique amènerait des tensions avec Rabat mais également cela affaiblirait sa position sur le dossier catalan. D’un autre côté, la reconnaissance de la souveraineté du Maroc irait à l’encontre d’une partie de l’opinion publique espagnole, très sensible sur le sujet.
Sources :
https://www.lefigaro.fr/international/ceuta-4-questions-pour-comprendre-la-crise-migratoire-20210520
Martin, Lucile. « Le dossier du Sahara occidental », Les Cahiers de l’Orient, vol. 102, no. 2, 2011, pp. 43-57.